Trajectoires – Détours – Résistance Symposium international d’art-nature aux Jardins du précambrien à Val-David, 2014

Nadia Myre: Après son départ

Étreindre de rouge massif l’erratique bloc
Aux yeux de plusieurs, Nadia Myre est la plus importante artiste de l’art autochtone actuel au pays. La trajectoire de l’Algonquine (communauté d’appartenance Anishnabeg de Kitigan Zibi) a traversé d’ouest en est le Kanata (Canada) et ses événements artistiques urbains en plus de se retrouver sur d’autres continents. Pour ce faire, elle met à profit sa capacité poétique et politique à identifier, à visualiser et à interagir de manière créatrice. Artiste affranchie des langages imparfaits et du poids d’un passé incompris, Myre a le sens aiguisé du repérage des lieux et de la création in situ. Aux détours du sentier, avec en main la poursuite d’un projet de filature d’un délicat mais robuste filet de pêche au fil rouge à l’aide d’outils traditionnels algonquoïens (Innus), l’attraction du bloc erratique gigantesque dont on fait le tour va happer son imagination. Porteur de l’histoire de l’univers bien avant les êtres humains, sa surface exposée aux astres en appelait encore aux récits mythologiques antiques et aux histoires universelles merveilleuses que l’on conte encore. Le défi de l’artiste est triple : premièrement d’envelopper, de protéger ce géant minéral porteur de toutes les mémoires; deuxièmement d’évoquer la venue, le passage du haut vers le bas d’Aataentsic, ce mythe fondateur iroquoïen de la grand-mère et mère tombée des cieux sur le dos de la Grande Tortue pour engendrer le temps des Hommes; et troisièmement, de donner à ressentir le souffle d’un animal hors-norme, comme cet éléphant géant que le Petit Prince dessina dans le roman de Saint-Exupéry. Le réel, peut-on penser, se fait résistance à l’imagination irrépressible. Un grand parachute de couleur rouge sauvage qui enrobe l’immense masse et auquel s’accroche comme une fine broderie, le filet. S’y ajoute magiquement la sonorité légère d’une respiration, du son de la pluie et d’un poème anonyme racontant une cicatrice personnelle, récité par Emmanuel Galland, commissaire des lieux en 2011. Après son départ se veut alors une poésie sculpturale qui donne à penser que le bloc erratique respire et guérit, qu’il trouve son souffle originel comme poème dit, autre forme de l’oralité autochtone. Le rocher, sous la toile tombée mythologiquement du ciel, la couleur d’une identité distincte, les plis qui s’écoutent comme une histoire d’un enfant sur une petite planète, ritualise ainsi l’espace.

Guy Sioui Durand et Chloë Charce